La Soft Law et la rigidité théorique de l’article 1832 du code civil ?

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Contribution de Cyrille, Etudiant en première année de Master Droit Privé et chargé de travaux dirigés à l’Université de droit sur le sujet de la Soft Law.
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L’article 1832 du code civil, heureux survivant de la réforme du droit des contrats, pose les conditions relatives à la création d’une société. Outre le débat concernant le caractère contractuel ou institutionnel de la société, qui a été parfaitement illustré par la cour d’appel de Reims du 24 avril 1989 [1], le législateur a entendu poser une certaine rigidité avec cet article issu de la grande loi du 4 janvier 1978.

A l’époque le souhait était de conférer une stabilité et une sécurité à la société, l’idée étant ainsi qu’une société est une entité économique, qu’il fallait nécessairement protéger en raison des influences sur la vie économique, politique et institutionnelle d’une société. Avant d’être une telle entité économique de production, du point de vue juridique la société était un contrat, avec les conditions générales relatives à tout contrat. Il s’agissait ici de l’idée prédominante à l’époque, cependant les impératifs de la vie économique se sont  vite fait ressentir, et une adaptation à la conjoncture s’est avérée nécessaire. A la vue de cette carence législative notamment marquée par un grand éloignement vis-à-vis de la pratique des affaires, un ensemble de règles informelles s’est alors vu apparaître. Ces règles sont directement édictées par les professionnels et permettent de s’adapter aux exigences de la vie économique et financière.

Cet ensemble de règle, généralement appelé droit mou, ou Soft Law, trouve son origine notamment en droit de la concurrence, puisque dans ce domaine on est dans ce qu’il convient d’appeler le droit économique, les matières juridiques et économiques s’entremêlant. Le droit des sociétés s’est alors vu concerner de plus en plus par ces nouvelles règles non impératives mais qui, en réalité, possèdent tout de même une force contraignante. Il parait alors intéressant de voir dans un premier temps quels sont les domaines concernés par ces règles (I), puis de voir par la suite comment la pratique, pourtant dépourvue du pouvoir législative a –elle réussie à imposer des normes qui ont une force contraignante en réalité (II).

I – Les règles de Soft Law intéressant directement la société

Ce développement intéresse essentiellement les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur le marché réglementé. Le domaine concernant l’ordre public financier, les différentes exigences semblent trouver tout un intérêt puisqu’en cas de défaillance, les conséquences peuvent se faire directement ressentir. Le souhait étant de combler les lacunes pratiques du code de commerce, et sous l’influence Nord-Américaine, s’est vu développé un code, un nouveau règlement concernant la bonne gestion des entreprises, ce sont des règles de bonnes conduites, comme était la notion feu du « bon père de famille ». Le plus souvent appelé gouvernement d’entreprises ou « corporate Governement » pour les intimes, ce mouvement s’est vu matérialisé dans différents codes tels que l’Afep-Medef ou encore le middle next pour les plus petites sociétés.

Les règles édictées par ces différents codes viennent directement intéresser différents grands principes du droit des sociétés, la rémunération des dirigeants, en passant par la limite de cumul de mandat social ou encore le statut de nouveaux administrateurs dit administrateur indépendant.

La rémunération des dirigeants est un point intéressant et par lequel beaucoup de personnes se sentent concernées. Il est vrai que de nombreux scandales ont éclaté à ce sujet, et notamment la question des golden parachuts, à cet égard je vous invite à consulter un article fort bien rédigé par le professeur Hovasse [2]. Ces nouvelles règles du droit des sociétés édictées par des professionnels pour des professionnels viennent établir un mécanisme de contrôle assez novateur qui vient accroitre davantage les prérogatives de l’assemblée générale. Le principe est celui du « Say on Pay » qui va consister en une présentation préalable à l’assemblée générale ordinaire par le conseil d’administration des différentes rémunérations des dirigeants, et ce avant même l’inscription de ces rémunérations aux comptes sociaux. Il s’agit d’un vote consultatif fait par l’assemblée générale, suite à ce vote, le choix demeure libre au conseil d’administration de modifier ou non certains aspects de ses rémunérations avant de les inscrire aux comptes. L’on sait d’ailleurs à cet égard au combien les investisseurs, puisqu’ici on parle de sociétés côtés sur le marché, sont intéressées au sujet de la rémunération. Le say on pay vient donc renforcer la transparence, et par conséquence la confiance des investisseurs dans la société.

A côté de ses dispositions sur la rémunération, de nombreux autres aspects sont abordés, et notamment la question des administrateurs indépendants. En effet dans la société anonyme classique, il est recommandé par ce code pratique d’avoir un quota d’administrateurs indépendants. Ces derniers vont donc permettre d’avoir un nouveau regard, objectif sur la société, contribuant ainsi à renforcer davantage la confiance des investisseurs dans la société. A cet égard, le professeur Viandier a publié un article sur l’administrateur indépendant dans les sociétés côtés.[3]

L’ensemble des règles de Soft Law viennent ainsi conseiller les différents dirigeants et administrateurs dans la gestion de la société au quotidien, et notamment en matière de confiance et de transparence. Ces deux notions qui sont fondamentales en matière de droit des marchés financiers, trouvent donc leurs corolaires en droit des sociétés. La lettre de 1832 du code civil ne s’en trouve pas pour autant modifiée, puisque ces règles concernent en réalité des règles de bonnes conduites, des conseils aux différents dirigeants. Le cœur même de la société dans sa création, en tant que contrat n’en est en rien modifié. Ces règles viennent seulement impacter le fonctionnement de la société, et encore il s’agit simplement généralement d’obligations d’informations ou de mesures permettant un accroissement de la transparence, et elles ne viennent en aucun cas s’opposer au caractère d’ordre public des règles du code de commerce ou du code civil en la matière.

Cependant ces règles comportant certaines contraintes pour les dirigeants, et notamment le Say On Pay, s’est alors posé la question de savoir comment accorder un pouvoir contraignant à ces règles tout en sachant qu’elles ne proviennent pas d’un pouvoir normatif.

II – La contrainte indirecte de la Soft Law

Le problème des règles de droit mou, droit souple ou Soft Law c’est qu’il n’y a rien pour sanctionner en cas de non respect. La tentation peut alors être forte pour un dirigeant de se dispenser d’appliquer telle ou telle recommandation des codes de gouvernement d’entreprise, afin de faciliter la gestion quotidienne de la société, ou voir même de ne pas trop divulguer ses rémunérations personnelles. Ces pratiques visant directement les marchés financiers, c’est donc son autorité qui vient jouer un rôle fondamental en la matière. L’autorité des marchés financiers dite AMF va venir établir un rapport annuel sur le gouvernement d’entreprise. Ce rapport va mettre le doigt sur les pratiques qui sont respectées, mettant ainsi en avant les sociétés, élèves modèles, et a contrario, elle va dénoncer les recommandations qui ne sont pas appliquées. Par exemple dans son rapport annuel de 2014, l’AMF vient dénoncer le manque flagrant des sociétés côtés du respect des règles relatives aux indemnités de départ des dirigeants, ces fameux golden parachuts. Elle insiste alors sur le manque de communication lors de ce départ, et invite les professionnels à élaborer de nouvelles dispositions du code, imposant un communiqué détaillant de façon exhaustive l’ensemble des conditions financières de départ du dirigeant.

Comment sanctionner les entreprises qui ne respectent pas alors ces recommandations ? Il est évident qu’il ne s’agit pas d’entreprises de marché qui rentrent dans la compétence de l’AMF, par conséquent elles ne peuvent faire l’objet du pouvoir de sanction de cette autorité. La force contraignante relève alors de la substance économique. En effet dans son rapport annuel l’autorité des marchés financiers va détailler l’ensemble des sociétés qui appliquent ou non le code du gouvernement d’entreprise. Pire encore, elle va demander des précisions aux mauvais élèves en leur demandant quelles sont les raisons pour lesquelles elles ne l’appliquent pas. Tout cela est rendu public.

Il est évident qu’un investisseur cherche à avoir confiance en la société, cette confiance passe avant tout par la transparence. Le tiers qui va investir dans une société dans laquelle le dirigeant refuse de détailler ses rémunérations, peut se poser des questions sur la pertinence et la rentabilité de son investissement. La force contraignante des règles de soft Law en matière de droit des sociétés résident dans une nature totalement économique. Les investisseurs vont être découragés, et les résultats de la société sur les marchés financiers peuvent s’en sentir de facto affectés. Les entreprises ont donc intérêt à adhérer à ce code de bonne conduite, et surtout à l’appliquer dans les meilleures conditions. Ces sanctions bien qu’indirectes peuvent paraitre relativement faibles, toutefois il est important de rappeler que certaines sociétés ne manquent pas de s’affranchir de règles qui elles sont impératives, sans souci particulier puisqu’elles ont suffisamment de capacité financière pour éventuellement répondre d’une sanction pécuniaire et préfèrent parfois faire l’objet d’une condamnation plutôt que de mettre en œuvre des règles qui selon elle, peuvent leur porter préjudice au regard de la concurrence notamment.

A l’heure actuelle, il est impossible de nier l’existence de la soft Law en droit des sociétés, tant au vue du vaste domaine de règles qu’elle touche, que de son pouvoir économiquement contraignant. Cependant, sa portée ne reste que relative puisqu’elles ne concernent que les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur le marché réglementé. Une transposition à tout type des sociétés à plus petite échelle parait tout à fait envisageable, mais quid alors des sanctions en cas de non respect ? Puisque la question de dissuader les investisseurs via la publication du rapport de l’AMF ne se posera plus. La solution résiderait alors dans un mouvement qui commence à s’amorcer, qui est celui du législateur prenant en compte de plus en plus les règles de la soft Law pour établir les nouveaux projets de réforme du droit des sociétés.

Références bibliographiques :

– H.Hovasse «  La réforme des parachutes dorés dans la loi du 21 aout 2007 », Droit des sociétés 11, Novembre 2007

– P.Lambrecht « L’adaptation en Europe du gouvernement d’entreprise » Petites affiches 12 février 2004.

– N. Rontchevsky « le gouvernement d’entreprise à la française » Dalloz 2001.2578

– A.Viandier « L’administrateur indépendant des sociétés cotées » RJDA 2006.

[1] Cour d’Appel de Reims 24 avril 1989, GP 1989,2,431.

[2] H.Hovasse «  La réforme des parachutes dorés dans la loi du 21 aout 2007 », Droit des sociétés 11, Novembre 2007

[3] A.Viandier « L’administrateur indépendant des sociétés cotées » RJDA 2006.

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